J’espère que mon dernier billet ne vous a pas trop déprimé. Quand je travaillais à l’abattoir, j’étais en mode survie, mais au moins ça m’avait permis de trouver refuge dans l’écriture, une passion à laquelle je me suis accroché.

Ainsi, j’avais ma routine. Matin et après-midi, écriture. Le soir, j’allais bosser chez Olymel. Puis je dormais. Puis ça recommençait. Tout le temps.

Je me suis sérieusement demandé si j’allais faire ça toute ma vie.

Parce que d’un côté, même si j’étais rarement pétillant de joie, je vivais sans gros soucis. Le salaire était bon, donc aucun problème financier ne venait me faire perdre ma concentration, et j’avais amplement de temps pour écrire. Une excellente recette pour la productivité.

Mais pour le moral, pas sûr… Et considérant que l’écriture était, en quelque sorte, une forme de travail, conséquemment, je travaillais SANS ARRÊT.

Un burnout, avec ça?

* * *

C’est après un an et demi que j’ai commencé à élaborer mon plan d’évasion.

Je songeais sérieusement à retourner aux études. Sauf que quand j’en parlais à mes collègues à la table de désossage, on me répétait toujours la même rengaine : « Y’a plein de gens ici qui voulaient retourner aux études! Sauf qu’une fois que tu commences à faire de l’argent, c’est ben dur de décrocher! Ben ben dur! »

Ces propos avaient un fondement de vérité. Retourner aux études signifiait dire adieu à mon petit confort (très relatif, disons-le) et embrasser l’incertitude. Mais je crois que j’étais prêt à faire le saut. J’écrivais, mais mon environnement me rendait misérable. J’avais besoin de changement, à court-moyen terme.

J’ai alors commencé à décortiquer les programmes de prêts et bourses du gouvernement, pour voir ce que je pourrais en tirer éventuellement.

Une des choses que j’ai découvertes, c’est que les étudiants ne sont plus considérés à la charge des parents s’ils ont travaillé pendant 2 années consécutives. Donnée intéressante, puisque j’étais employé depuis 18 mois. Donc, si je prenais mon mal en patience et je gardais mon poste encore 6 mois à l’abattoir, j’allais me prévaloir de l’affranchissement parental. Ce n’était pas rien, ça représentait un gain de 6000 $ par années en bourse, environ.

J’ai commencé à compter les jours.

* * *

Entre temps, mon premier livre avançait bien. Je l’ai titré « Alégracia et le Serpent d’Argent ». J’essayais de produire 1000 mots par jour minimum, bon an mal an. Le récit qui avait d’abord Mosarie comme personnage principal a naturellement déplacé son focus vers sa fille Alégracia, qui quitterait bientôt le nid familial. J’ai changé la narration pour la première personne, puis j’ai suivi cette voie jusqu’à la fin.

Les évènements de l’histoire étaient beaucoup inspirés par ce que je vivais à l’époque. Il y avait la maison près de la plage qui était le havre que je m’imaginais, pendant que je travaillais, comme je l’avais expliqué dans mon précédent billet. Il y avait aussi les expériences d’Alégracia dans la Troupe d’Okliarre, directement inspirée des fois où j’accompagnais le groupe de musique de mon frère dans leur tournée, un peu partout au Québec.

Bref, j’ai appris à puiser de la substance dans la vie de tous les jours.

Mais je voulais aussi en tirer dans le dessin.

Parce que j’en avais accumulé un tas au fil du temps, et je me disais : « Il faudrait bien que ces gribouillages-là servent à quelque chose. » Comme si j’avais l’impression qu’en les entreposant, ils auraient été faits inutilement.

L’un des premiers dessins que j’ai inclus dans mon histoire est celui du guerrier avec des ailes colorées :

L'Ange Arc-en-Ciel.

Voulant l’utiliser tel quel, je me suis imaginé un héros dont les ailes apparaissaient comme par magie lorsqu’il se battait.

Tout ça à cause d’un problème de coloration numérique…

C’est incroyable tout de même de penser que ce personnage – qui a été créé de façon aléatoire – allait devenir la figure de proue de la série. Je trouve fascinant de voir son évolution au fil du temps :

Versions de Riuth

* * *

Avant d’avoir donné ma démission, je me suis inscrit au Cégep de Sainte-Foy en Techniques d’intégration multimédia. La création de sites Web était une des passions que j’avais développées alors que je travaillais sur le quart de nuit chez Olymel (ça a duré 3 ou 4 mois) : je voulais garder un horaire régulier autant la semaine que la fin de semaine. Donc, le samedi soir à 3 h du matin, quand tous mes potes allaient se coucher, je rentrais à mon appartement et je naviguais sur Internet. Je m’étais créé un clan à StarCraft et je gérais la plateforme en HTML.

Ce fut ma première expérience de codage.

En plus, la nuit, c’était pratique : personne ne décrochait le téléphone pour couper ma connexion. On pouvait télécharger à 15-20 ko/sec. puisque les réseaux n’étaient pas congestionnés. C’était vite comme l’éclair.

Depuis, j’ai toujours voulu améliorer mes connaissances dans la programmation pour le Web. Aller en multimédia au cégep me semblait naturel. La demande était forte pour le domaine (c’est encore vrai) et, étant donné que j’avais un peu d’expérience dans le développement Web, je croyais pouvoir me la couler douce. Un peu. Durant la première année, au moins.

Paresseux? Sûrement… Mais je savais que si mes études étaient relativement faciles, ça me donnerait plus de temps pour écrire.

Mes choix de vie étaient pas mal alignés là-dessus.

* * *

J’ai fait un budget. J’allais devoir retirer tous mes REER accumulés durant mes 2 années de travail. Puis, enfin, j’ai reçu mon acceptation au cégep.

Le lendemain, c’était un des plus beaux jours de ma vie.

Je me suis présenté au bureau des ressources humaines avec une lettre de démission signée. Je l’ai donnée à la secrétaire. On s’est assis. On a rempli les papiers nécessaires pour officialiser la chose, puis la secrétaire m’a demandé pourquoi je quittais mon emploi.

J’ai dit que je retournais aux études.

Elle a hoché la tête, approbatrice. « Tu fais bien, mon gars. »

Ainsi se terminait mon épopée de deux années parmi les cochons.

* * *

La première fois que j’étais entré au cégep en 1999, j’avais aucune à quoi ressemblait la « vraie vie ». J’étais vraiiiiment fainéant. Je me réveillais à midi, j’étudiais jamais, et la moitié de mes journées étaient consacrées aux jeux vidéo (particulièrement Diablo II, Chrono Cross et Quake III).

En 2003, je savais ce qui m’attendait si j’échouais. Ça donne un méchant coup de pied au cul.

J’ai déménagé à Québec avec des potes de mon village natal. J’ai reçu mon horaire. J’avais environ 25 heures de cours par semaine, et comme prévu, durant les deux premières sessions, on voyait les bases (programmation, design, Photoshop, etc.). J’avais une longueur d’avance confortable qui me permettait de finir mes devoirs en quelques minutes.

Plein de temps pour écrire, donc.

À ce moment, j’avais terminé le premier jet d’Alégracia et le Serpent d’Argent. J’avais même soumis une version préliminaire à des étudiantes chez Olymel qui avaient manifesté un intérêt pour le genre. Quand j’ai récolté leurs copies annotées, j’ai réalisé le travail colossal qui m’attendait.

Avant même d’avoir finalisé le premier tome, j’ai entrepris l’écriture du second. Ma tête débordait d’idées, il fallait que ça sorte. Et comme j’étais conscient que mon temps était compté (à cause qu’on ne va pas éternellement au cégep et que mon compte en banque fondait à vue d’oeil), je vous le jure : ça a sorti.

Les épées de Damoclès, ça motive.

* * *

J’ai passé rapidement du mode « gars d’usine » à « étudiant ». J’entrais plus naturellement dans ce moule, je me sentais à l’aise, j’étais « dans mon domaine ». Et j’écrivais autant qu’avant, sinon plus.

Je continuais à développer des sites Web amateurs en parallèle, pour le plaisir. Un peu par hasard, j’ai découvert une communauté de passionnés de littérature d’horreur sur un site qui s’appelait HorreurQC.

L’interface était crissement laid (désolé, Guillaume). Alors je leur ai proposé de refaire un design flambant neuf, et je leur ai offert d’élaborer une section pour qu’on puisse y publier des nouvelles d’horreur et de fantastique, au format numérique.

Ça a été mon premier contact avec Les Six Brumes.

J’en parlerai dans mon prochain billet.

La genèse d’Alégracia #3 : La lumière au bout du tunnel
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