Des études en littérature sont-elles nécessaires pour écrire?

La réponse courte est, évidemment, non. La réponse longue ressemble fortement à ça aussi, mais avec davantage de mots.

Mais est-ce dire que les études littéraires sont inutiles pour un écrivain?

Alors là, c’est plus complexe. Plusieurs (probablement la plupart) des auteurs n’ont pas de formation d’écrivain autre que leur expérience personnelle. De toute façon, il n’existe pas de diplôme attestant que telle personne est un auteur reconnu, comme c’est le cas, par exemple, pour les médecins, les ingénieurs, les chimistes et toutes les autres personnes utiles à la société (ce que l’écrivain, en tant qu’individu, n’est pas, même s’il y contribue grandement). Il existe bien des certificats en création littéraire, des diplômes d’études collégiales, des baccalauréats, des maîtrises en création (c’est d’ailleurs ce que je fais en ce moment), mais ce n’est en aucun cas des usines à écrivains. Les écrivains qui graduent de ces programmes étaient déjà écrivains au moment de l’inscription.

(Je n’ai pas fait de certificat en création, mais j’ai suivi plusieurs ateliers de création au cours de mon baccalauréat. C’est à partir de cette expérience que je parlerai donc.)

Dans des cours de création, il n’est pas vraiment question de comment écrire: au mieux, on verra comment ne pas écrire. On peut étudier les différentes formes que peut prendre un récit, mais pas en souligner les meilleurs (il n’y en a pas); on peut répertorier les diverses formes de structures narratives, mais pas les classer des plus efficaces au plus hermétiques: c’est une question de style, de langue, et c’est propre à chacun, dans l’absolu. Dans les contextes d’atelier, où les étudiants soumettent des textes au professeur et à la classe, il peut certes ressortir des conseils très pertinents pour qu’ils puissent améliorer leur plume, réaliser ce qui cloche dans leurs textes, apprendre à retravailler leurs écrits, mais qui peut aider un écrivain dans son développement sans pour autant remplacer les heures, les semaines et les mois que chaque auteur doit passer seul à polir encore et encore ses créations…

Dans le contexte de la maîtrise en création (plus précisément, en études littéraires, profil création), à l’UQAM tout de moins, c’est un peu différent. À temps plein, le programme dure deux ans: une année de scolarité (des cours) et une de rédaction. Les cours, à raison de deux par session, servent à la fois à préparer le sujet du mémoire qui sera écrit dans la deuxième partie de la maîtrise et à permettre d’élaborer des réflexions générales et souvent assez abstraites sur l’écriture. C’est beaucoup de lecture de textes théoriques, de discussion, d’écriture d’essais. Aussi étrange que cela puisse paraître, je n’ai jamais aussi peu écrit que depuis que je suis à la maîtrise en création… Je vais me rattraper au cours de l’année prochaine, par contre, où je devrai écrire mon mémoire à temps plein. Typiquement, d’ailleurs, le mémoire de création est séparé en deux parties: d’abord un volet création environnant les cent pages (et qui peut prendre bien des formes: romans, recueil de nouvelles ou de poèmes, long poème, fragments, etc) et un appareil réflexif (un essai, donc) d’une quarantaine de pages qui peut porter sur à peu près n’importe quoi, tant que c’est en rapport avec l’écriture. Même si la rédaction du mémoire se fait avec l’aide d’un directeur (qui joue un rôle assez semblable à celui du directeur littéraire, dans le milieu de l’édition) et que le travail qui est accompli dans le cadre de la maîtrise peut effectivement être très bénéfique sur la qualité des oeuvres futures d’un écrivain, encore là, il ne s’agit pas vraiment d’apprendre à écrire, mais plutôt de faire preuve, en plus de la production d’une oeuvre littéraire, d’une capacité de réflexion sur l’acte créatif.

En somme, donc, l’université et le cégep ne sont pas des endroits pour apprendre, littérairement parlant, à écrire. Des cours de grammaire, par contre, sont toujours très pertinents, même pour ceux et celles qui n’ont pas (ou ne croient pas avoir) de difficulté avec la langue.

Par contre, tous les bons écrivains sont aussi de bons lecteurs (je me risque rarement aux généralisations, mais celle-ci est indéniable). Et la lecture, au contraire de l’écriture, s’apprend en contexte institutionnel. C’est un peu le but des études littéraires, en fait: amener l’étudiant à formuler un discours cohérent et articulé sur un texte ou un corpus donné. Et pour ça, il faut lire, beaucoup, des romans, des essais. Et ces lectures, même faites dans un contexte scolaire, viennent alimenter l’écriture des auteurs, que ce soit sur le plan de l’écriture (la révélation de telle tournure de phrase, la sensibilité à un rythme, à une sonorité) ou des idées. C’est, somme toute, bénéfique pour ceux qui sont capables d’en tirer de la matière d’écriture.

Bien sûr, il peut y avoir des dérapages, comme quand un auteur, impressionné par une théorie littéraire, décide de construire un texte partir de cette théorie. Le résultat, souvent, est imbuvable et de très peu d’intérêt. Cependant, si on peut éviter ce genre d’écueil un peu pédant, ça va.

Dans certain cas, cependant, les études littéraires ont l’effet inverse: on gèle, l’écriture se fait rare, se tarit, que ce soit par surexposition ou par complexe d’infériorité. C’est souvent une question de confiance. Je connais des personnes très talentueuses qui ont plus ou moins mis l’écriture de côté (consciemment ou non) pour la durée de leurs études en littérature. J’espère vivement qu’elles sauront renouer avec leur voix intérieure.

Pour en revenir à la question du début, je ne crois pas que les études littéraire soient complètement inutiles aux écrivains. Elles sont, disons, optionnelles, ne garantissent en rien une qualité quelconque des oeuvres, mais elles permettent de se donner le temps d’acquérir les bases d’une cultures littéraire et générale, ce qui n’est jamais un atout négligeable. Des études en littératures, c’est l’occasion de découvrir des auteurs qu’on ne connaîtrait probablement pas autrement, d’apprendre sur des pratiques d’écriture qui nous seraient sûrement restées inconnues si on avait décidé d’apprendre en autodidacte.

Mais en même temps, d’un point de vue pratique, économique, les études littéraires ne sont viables que pour ceux qui projettent de devenir professeur, que ce soit au cégep où l’université (ce n’est pas mon cas, mais j’ai l’esprit de contradiction). Il y a quelques autres débouchés, oui, mais qui sont fort peu nombreux, malheureusement. Rien n’empêche, bien entendu, de compléter, par exemple, un baccalauréat, un certificat, un DEC ou une maîtrise en littérature avant de changer de domaine d’étude, dans le but avoué de se trouver un emploi. C’est une stratégie qui demande temps, motivation et argent, cependant, on comprendra que ce n’est pas tout le monde qui peut ou qui veut s’y essayer.

Pour ma part, je suis à l’aise avec les choix d’études que j’ai faits. La plupart de mes auteurs préférés ont été découverts en contexte scolaire (Witold Gombrowicz, Louis-Philippe Hébert, José Saramago, Hubert Aquin). Autre fait intéressant, les études littéraires m’ont permis de rencontrer plusieurs personnes avec qui je me suis découvert des affinités et avec qui j’ai développé de bonnes relations. L’équipe de Brins d’éternité, notamment, est entièrement constituée d’étudiants (surtout d’étudiantes, en fait) en littérature. Même si le milieu universitaire peu souvent sembler hautain et pédant (et il l’est, parfois), il ne faut pas oublier qu’un contact humain, authentique et enrichissant, peut aussi y naître.

Créer et détruire (2) – Pertinentes, les études littéraires?
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3 avis sur « Créer et détruire (2) – Pertinentes, les études littéraires? »

  • 13 février 2009 à 14:13
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    Pour ma part, je l’ai fait pour le fun. Pour me saucer. Je relis des merdes (carrément) que j’ai écrites au certificat il y a à peine 2 ans, et je m’y reconnais déjà bien peu. Au fait, c’est un détail, mais j’ai jamais remis mon projet final (ELM). Je compte m’y concentrer après mon bac.

    As-tu eu Denis Aubin? He’s the man.

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  • 19 février 2009 à 16:39
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    Bonjour Mélanie,

    C’est effectivement une très bonne raison de poursuivre des études (dans n’importe quel domaine) :). Je n’ai malheureusement pas eu la chance d’avoir Denis Aubin (on ne peut pas tous les avoir !), mais je suis content quand même de ceux et celles dont j’ai pu suivre les cours.

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  • 7 septembre 2014 à 18:38
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    C’est surement pour ça que je ne suis pas un « bon écrivain », je n’ai jamais réussis à finir un roman de ma vie. J’écris pour vider ma tête, pas pour remplir celle des autres et j’étudie en création. Voyez, Prokofiev est mon compositeur préféré et il détestait amèrement la musique des autres. Je suppose que je trouverai un jour des lecteurs pour ma stupidité.

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