Vendredi dernier, j’ai participé à la Fabrique du numérique, une sorte de réunion/atelier/congrès (difficile à définir, appelons-le « évènement ») qui réunissait environ 80 acteurs de divers milieux, dont les universités, les éditeurs, les artistes, le gouvernement, etc. Le but de la journée : discuter du numérique pour l’édition littéraire et scientifique et trouver des actions concrètes pour que ça décolle, cette affaire-là.

Bien sûr, j’y allais en tant qu’auteur publié et je voulais défendre mes intérêts. J’avais peut-être la prétention d’y représenter ma race.

Je n’avais pas l’intention de soulever des sujets généraux sur le numérique; plusieurs universitaires étaient là pour ça (et ont bien fait leur travail, d’ailleurs). Ce qui m’intéressait : qu’est-ce qui attend les auteurs qui publient leur livre sur d’abord sur papier et qui finiront par adapter leurs œuvres au format numérique?

Très précis, en effet.

J’espérais surtout sortir de cette journée en ayant fait prendre conscience aux acteurs du milieu qu’on avait besoin de définir des standards pour le contrat d’édition. Ma première grosse déception de la journée, une suggestion citée par Gilles Herman et qui a été applaudie dans toute la salle : « ne nous concentrons pas sur le modèle économique, il se définira lui-même, mais concentrons-nous sur les contenus ».

Euh… n’est-ce pas la responsabilité des auteurs de créer et de réinventer le contenu? Oui, le modèle économique va se définir et tous les acteurs (éditeurs, diffuseurs, librairies, etc.) pourront s’ajuster. Mais nous, les pauvres auteurs qui sommes au bas de la chaîne alimentaire du livre, je le répète et trouvez-moi tannant de revenir là-dessus : nous sommes obligés de signer nos contrats MAINTENANT et ces contrats vont durer 5 ans, 10 ans et parfois même toute la vie.  Il faut des standards AUJOURD’HUI. Si le modèle économique change et qu’on a signé des contrats de merde, nous perdons sur toute la ligne.

J’espère que le message va se rendre aux bons endroits. **TOUSSE-TOUSSE-ÉDITEURS-TOUSSE-TOUSSE-UNEQ**

Quelques choses qui m’ont étonné durant la journée, en vrac :

  • On me considère comme un hérétique : « MOI : J’ai un manuscrit que j’ai voulu faire publier, mais ça n’a pas marché auprès des éditeurs. LES AUTRES : Pourquoi tu ne le publies pas sur Internet? MOI : Euh… parce que l’écriture, c’est mon métier. LES AUTRES : Et alors? MOI : Je veux faire de l’argent. » Si on était encore à l’époque médiévale, on m’aurait probablement passé au bucher;
  • Je pense encore que l’éditeur est nécessaire, malgré ce que certains en pensent. L’autopublication est l’échec de la persévérance. Lancez-moi des tomates si vous le voulez;
  • On m’a sermonné quand j’ai parlé de « livre numérique », mais il est vrai que l’on doit maintenant utiliser le terme « œuvre numérique » qui englobe beaucoup plus de possibilités;
  • Plusieurs artistes réunis à la même table, cela mène à un cul-de-sac (je m’inclus dans « artistes »). L’égo des artistes est mauvais. Ne réunissez jamais des artistes pour débattre sur des sujets sérieux comme le numérique. Placez plutôt un seul artiste avec des gens d’autres domaines et considérez son opinion de façon isolée;

Je vous invite à lire les rapports des autres participants. Clément Laberge en a déjà réuni quelques-uns dans son article.

En bref, l’expérience de la Fabrique a été très positive, même si le ton que j’emploie ici pourrait laisser croire le contraire. Tant de personnalités de différents milieu donne une ébullition intellectuelle que j’ai rarement pu voir dans ma courte existence. Je suis néanmoins hanté par l’idée qu’on donne très peu de considération aux auteurs dans cette chaîne, qui, d’une manière, « démarre » avec les écrivains.

La Fabrique du numérique

15 avis sur « La Fabrique du numérique »

  • 28 février 2010 à 8:54
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    Bie entendu que les auteurs sont au départ de tout. Mais je persiste et signe : si on attend de définir UN modèle ou LE modèle, il ne se passera rien. En fait tu auras le choix d’envoyer tes livres chez Amazon, Google ou Apple. Ce qui n’est peut-être pas plus mal, je ne sais pas.

    Mais, en tant qu’auteur, tu as le droit de pousser ton éditeur dans le dos pour lui demander d’aller de l’avant. Et savais-tu qu’un contrat, ça se renégocie ? Oui, même un contrat signé pour la vie avec ton sang. Parce que si tu as du succès, ton éditeur ne voudra pas te perdre.

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  • 28 février 2010 à 9:06
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    Merci Dominic pour cette réaction. Je n’avais pas eu l’occasion de te croiser en fin de journée, et je voulais bien savoir ce que tu y avais vu/vécu.

    On est tous dans le rapport satisfaction/lacunes par rapport à ce genre d’événement, moi le premier. Ton point de vue est important : la question des droits d’auteur, l’absence de l’UNEQ, l’inscription des pratiques d’écriture romanesque dans la réflexion sur les modèles économiques… il y avait nécessairement des points aveugles dans les discussions, effet d’une combinaison imprévisible des gens et des échanges. Mais ça ne doit pas être vu comme une faille, mais comme une incitation à poursuivre cette réflexion et à engager les acteurs à en discuter (comme le souligne bien Gilles).

    Absence des auteurs ? La porte leur était grande ouverte. Je dirai, un peu tristement, que c’est aussi en raison du fait qu’ils semblent ne pas se sentir concernés. Autre débat à faire…

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  • 28 février 2010 à 9:14
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    Gilles : Je parle surtout pour les éditeurs (trop nombreux) qui font des affaires croches et qui refusent catégoriquement de négocier leur contrat. Beaucoup d’auteurs avec plus ou moins d’expérience agissent de façon naïve et se laissent prendre au piège.

    René : Oui, les auteurs ne se sentent pas beaucoup interpelés pour l’instant. Si certaines personnes sont fétichistes du livre papier, les auteurs seraient sans doute les premiers.

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  • 28 février 2010 à 10:29
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    Le sujet de ton billet m’intéresse. Merci pour le résumé de l’événement et les liens. Instructif. Je crois pour ma part que la majorité des auteurs préfère depuis toujours rester en dehors des technicalités concernant la production concrète de leurs oeuvres. C’est une erreur. Il faut que les auteurs s’impliquent davantage, comme tu sembles le faire d’ailleurs. Le côté affaire de la création existe mais les écrivains répugnent à l’inclure dans leur identité. En refusant de se l’approprier, ils laissent leurs intérêts dans les mains de quelqu’un d’autre. C’est cette mentalité qu’il faudrait changer. Le numérique représente d’ailleurs une rare occasion. Alors, comme toi, je crois qu’on aurait intérêt à participer à définir le modèle économique au lieu de le laisser se définir tout seul. Et plutôt aujourd’hui que demain.

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  • 28 février 2010 à 11:04
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    Oui, en fait peut-être que mon cri du cœur devrait plutôt s’adresser aux auteurs. Soyez en affaires, mettez vos culottes et négociez. Soyez un artiste devant votre manuscrit et un travailleur autonome avec le reste.

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  • 28 février 2010 à 11:05
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    Merci Dom pour ce compte rendu!!

    •Je pense encore que l’éditeur est nécessaire, malgré ce que certains en pensent. L’autopublication est l’échec de la persévérance

    Je suis d’accord, je l’affirme et je suis prête à partager les tomates avec toil

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  • 28 février 2010 à 11:27
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    Merci pour le compte-rendu!

    Cela dit, il n’y a pas qu’au milieu de grands universitaires que parler d’argent et de rentabilité de l’écriture risque de te faire passer à deux doigts du bûcher. Ça m’est déjà arrivé aussi au milieu d’une assemblée d’artistes « passionnés » (traduction : pauvres et fiers de se condamner à le rester)

    Pour ce qui est de l’importance des éditeurs : faudrait faire réaliser à certaines personnes que le rôle de l’éditeur est, au fond, le même que celui d’un directeur de thèse. Oui, on pourrait écrire sans : mais ça ne sera jamais aussi bon.

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  • 28 février 2010 à 14:57
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    Très intéressant compte rendu.

    Concernant les éditeurs, je crois que leur importance (dans l’ère du numérique) est surtout un sceau de qualité. Quand j’achète un livre, un facteur déterminant est qui l’a publié, dans quelle collection, quelle était la qualité des autres livres publiés par cet éditeur. C’est le problème avec les ouvrages autopubliés; ils n’ont pas été filtrés par une « entité » qui valide leur qualité.

    Dans le futur, des organismes de validation de la qualité, habilités à apposer des sceaux genre « Certification verte » ou « ISO », mais qui se liraient plutôt « Marque sanglante » pour des romans d’horreur ou « Suspense garanti », pour les polars. Ces différentes certifications se feraient ensuite une réputation et c’est cette dernière qui permettrait au lecteur de valider les livres autopubliés. Reste à trouver une façon que ce soit rentable pour ces organismes sans que l’auteur n’en fasse les frais et que les vautours ne se mettent de la partie…

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  • 28 février 2010 à 17:44
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    C’est ce que j’avais tenté d’expliquer : l’édition agit comme filtre et comme une difficulté qui amène l’auteur à se dépasser. Quand on réécrit son texte 10 fois pour qu’il soit accepté, c’est grâce aux éditeurs. Et la qualité monte.

    Je sais que c’est plate ne pas être publié; j’ai vécu le refus aussi. Mais avec du recul, je préfère que certaines de mes réalisations aient été refusées.

    Frédéric : même s’il existait ces « sceaux », il faudrait être accepté ou refusé par cet organisme… Ça reviendrait un peu au même. Ce qu’on retient, c’est qu’un système de filtration doit exister. Pas seulement pour ne garder que les bonnes oeuvres, mais pour améliorer la qualité globale des oeuvres qui sont soumises au « système ».

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  • 28 février 2010 à 17:46
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    Et pour revenir au numérique, je crois que les auteurs sont particulièrement vulnérable puisqu’ils paraissent réfractaire à l’arrivée de ces technologies. De là leur refus d’aborder la question. Lorsque le numérique auront envahi le marché, ils ne seront pas prêts. C’est pourquoi j’aimerais voir un organisme comme l’UNEQ prendre d’assaut cette question.

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  • 28 février 2010 à 20:01
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    Idéalement, ce que le numérique devrait permettre, c’est de publier les oeuvres qui le méritent, pas uniquement celles pour lesquelles les éditeurs ont un budget.

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  • 2 mars 2010 à 10:27
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    Compte-rendu fort intéressant. Je me sens au diapason quant à certains passages de ton résumé, notamment en ce qui a trait aux artistes/écrivains réunis autour d’une même table. Il est vrai que cela crée des vagues difficiles à rendre… signifiantes. Mais au-delà de ce genre d’épisode, ce qui ressort de ces ateliers est la difficulté de discuter d’une même chose. Le vocabulaire est visiblement en émergence et n’est pas partagé par tous — moi la première. Il nous manque encore plusieurs outils d’analyse pour parvenir à désigner clairement les notions liées aux « œuvres » numériques. Et c’est là, un domaine à approfondir. Il faudrait se donner un langage, un lexique sur la littérature numérique.

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  • 8 mars 2010 à 21:14
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    Je n’avais pas encore lu ton résumé de l’événement, heureux de voir le point de vue d’un collègue auteur, beaucoup plus pragmatique («comment on me paye?» voir le coup de gueule de Thierry Crouzet que j’ai rapporté sur LKM).

    Gilles et René tiennent de bons points (poings?), les contrats se renégocient, on peut pousser nos éditeurs à sortir du modèle convenu, etc. Tout reste à faire. À nous, auteurs, de faire notre place. Et comme tu le dis si bien, nous sommes le début de la chaîne, la donnée brute de tout le système!

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