C’est fou comme le mois de février est passé rapidement. J’en suis déjà à écrire mon dernier billet en tant qu’invité du mois sur ce blogue. J’ai bien apprécié l’expérience, d’ailleurs.

Enfin. Comme je le mentionnais dans mon précédent billet, il sera ici question de direction littéraire. J’en parle par rapport à mon expérience personnelle en tant que directeur de Brins d’éternité, mais aussi par rapport à ma position d’auteur qui a déjà eu à remanier ses textes en fonction des caprices esthétiques de cette étrange race d’êtres qui portent le surnom de « dirlitt ».

Bien entendu, ce que j’avance ne s’applique pas à tous les directeurs littéraires: il sera probablement possible d’en trouver un, quelque part, pour me contredire sur un ou plusieurs points. N’empêche, voici quelques idées à prendre en considération.

  • Les dirlitts sont rarement polygames : L’être humain (de notre société occidentale, du moins) est profondément égoïste. Il aime posséder et n’est guère enchanté à l’idée de partager ce qui lui appartient. Vous me direz que c’est ce genre de comportement qui mènera probablement notre espèce à son extinction, et vous aurez probablement raison. Cependant, dans le domaine de l’édition, c’est une mentalité totalement justifiée. Il n’y a probablement rien de plus frustrant pour un directeur littéraire que de travailler à décortiquer un texte, à l’analyser, à en faire ressortir les forces et les faiblesses, à le commenter pour que l’auteur le retravaille, etc., pour se rendre compte, après des heures de labeur, que ledit texte avait aussi été soumis à une autre revue/maison d’édition, et que cette dernière a été un peu plus rapide que lui, se réservant ainsi les droits de publication. Il y a plusieurs manières de penser par rapport à ça, mais personnellement, je vous déconseille de soumettre simultanément vos textes à plusieurs revues et maisons d’édition. Si vous le faites, cependant, ayez l’honnêteté de le mentionner clairement au moment de la soumission. Soyez respectueux avec les directeurs littéraires, notamment en ne les faisant pas travailler pour rien : ils sont tous et toutes, dans une certaine mesure, un peu rancuniers.
  • De l’importance de la présentation… : Chaque directeur littéraire a ses préférences quant à la présentation visuelle des textes. Certains demandent un double ou un simple interligne, d’autres des marges d’une grandeur précise et un certain nombre de signes par page, d’autres des paragraphes justifiés… Si vous ne respectez pas ces consignes, en vous disant que, bah, ce n’est pas trop important, sachez que vous compliquez la tâche du directeur littéraire. S’il a ces exigences, c’est que, d’une façon ou d’une autre, elles lui permettent de travailler plus efficacement, à sa façon. Dans le meilleur des cas, il devra reformater votre texte pour lui donner l’allure désirée (perdant ainsi du temps qu’il aurait pu passer à lire et apprécier votre texte). Dans le pire des cas, vous aurez droit à un refus générique, parce que le directeur aura refusé, avec raison, de perdre temps avec un auteur qui ne semble pas comprendre (ou prendre la peine d’appliquer) des consignes pourtant simples.
  • … et de se relire : Normalement, un directeur littéraire ne devrait pas avoir à lire de premiers jets, de brouillons (sauf s’il vous en fait la demande). En tant qu’auteur, vous devez corriger votre texte avant de le soumettre à une revue ou une maison d’édition, autant sur le plan du style que de la langue. Les bons correcteurs orthographiques, comme Antidote ne sont peut-être pas donnés (environ 100$ au Québec, je crois que c’est 100 euros en Europe mais je ne suis pas certain) mais c’est un investissement qui vous permettra d’améliorer à la fois votre français écrit et votre crédibilité par rapport à votre directeur littéraire. Un texte bourré de fautes d’orthographes, de phrases mal construites et d’incohérences dans l’intrigue ne donne vraiment pas une bonne impression pour le directeur littéraire : non seulement le texte qui lui est présenté n’est pas publiable, donc d’aucun intérêt pour lui, mais en plus l’auteur projette une image négative de lui-même, celle de quelqu’un qui n’est pas très travaillant et pas trop motivé, en tout cas pas assez pour se relire. Si même l’auteur ne veut pas se lire, pourquoi n’importe qui d’autre le ferait?
  • Le directeur littéraire a raison : Ce n’est pas nécessairement un fait, mais plutôt une hypothèse de travail. Exemple concret : vous aimez votre personnage de lutin pédophile. Il vous fait rire chaque fois que vous relisez les passages de votre roman où il apparaît. Votre directeur littéraire, lui, n’est pas tout à fait du même avis, pour des raisons qu’il vous explique, à savoir, disons, qu’il n’apporte rien à l’histoire, sauf pour les lecteurs qui ont un sens de l’humour assez tordu. Il vous suggère donc de le supprimer. Vous n’êtes pas du tout d’accord, puisque vous trouvez l’humour de petit garçon molesté de très bon goût. Vous décidez donc d’ignorer les commentaires négatifs concernant votre cher lutin à l’appétit juvénile, en vous disant que le dirlitt finira bien, en relisant votre texte une fois de plus, par tomber sous le charme de ce si magnifique personnage… Ce qui, évidemment, ne fonctionnera pas. Il est normal qu’un auteur et qu’un directeur littéraire ne voient pas le texte de la même façon. En fait, c’est exactement pour ça qu’un directeur littéraire est utile, parce qu’il peut voir d’une façon un peu plus objective ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans un texte. Il faut parfois marcher sur son orgueil et accepter la critique. Ce n’est pas contre vous que le directeur en a. En fait, c’est votre allié, il veut vous aider à améliorer votre texte. S’il prend la peine de le commenter et de vous donner des pistes de réécriture, c’est parce qu’il aime ce que vous écrivez, même s’il y voit certaines lacunes, qu’il vous incite à combler. Vous pouvez être en désaccord avec la solution proposée, mais il ne sert à rien d’ignorer le problème. Dans le cas du lutin, par exemple, le problème est qu’il ne fait pas avancer le récit. Si vous n’êtes pas d’accord avec la solution « facile », qui est d’éliminer le lutin, il vous faudra remanier votre intrigue au complet pour que le lutin puisse y avoir une part plus active, plus intéressante et pertinente. Et ce n’est pas seulement pour faire plaisir au directeur littéraire que vous devez faire ça, mais pour vous, pour votre texte, pour le rendre meilleur et publiable. Si vous n’êtes pas prêt à restructurer votre texte au complet pour votre lutin, c’est que, finalement, vous ne tenez pas tant que ça à ce personnage, et qu’il vaut mieux, effectivement, l’enlever.
  • Soyez patient : Vous avez soumis votre texte il y a déjà X mois, et vous jugez qu’un délai d’attente normal est de X-Y mois. Mais que fait ce lambin de directeur littéraire ? Pourquoi n’a-t-il pas déjà lu et commenté votre texte ? Il n’a que ça à faire, après tout ! C’est bien connu, les directeurs littéraires sont exemptés de ces vicissitudes du genre humain, comme le sommeil, les relations sociales, l’université, le travail (bien des directeurs littéraires ont un « vrai » emploi pour les faire vivre)… Vous voyez, j’espère, le sarcasme, ici. Tout comme les auteurs, les directeurs littéraires sont des êtres humains, qui ne peuvent travailler qu’un nombre limité d’heures par jour et de jours par semaine (surtout pour des tâches aussi ardues intellectuellement que la direction littéraire), ce qui peut, malheureusement, parfois occasionner quelques retards. Il est cependant possible qu’il y ait vraiment eu une erreur ou un oubli, surtout si vous n’avez jamais reçu d’accusé de réception. Si vous êtes vraiment angoissé, écrivez poliment à votre directeur littéraire pour lui demander où il en est dans la lecture de votre texte. Ne vous attendez pas à ce que cette question accélère le processus, cependant : elle a pour seul but de vous assurer qu’on ne vous a pas oublié. Évitez donc de relancer trop souvent votre dirlitt : lui aussi aimerait probablement être en mesure de travailler plus rapidement, et vos messages d’impatience risquent surtout de l’irriter plutôt que de le motiver à travailler sur votre texte.

Voilà donc pour ces quelques réflexions sur le monde de la direction littéraire. Merci de m’avoir accompagné pour cette courte série de billets, et merci à Dominic pour m’avoir invité pour quelques semaines dans son royaume virtuel. Je retourne maintenant au mien, si vous permettez…

Créer et détruire (4) – L’infâme direction littéraire

9 avis sur « Créer et détruire (4) – L’infâme direction littéraire »

  • 1 mars 2009 à 9:34
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    Je ne suis pas beaucoup familier avec l’édition de nouvelles, mais est-ce que ça arrive souvent qu’un directeur littéraire corrige un texte avant même de dire oui à l’auteur?? Ça me paraît un peu bizarre.

    Personnellement, j’encourage les auteurs à soumettre leurs textes à plusieurs maisons d’édition et, dans le cas d’une acceptation, avertir immédiatement par écrit les autres maisons pour leur éviter du travail inutile. Au pire, le livre aura fait un peu de chemin dans le comité de lecture, ce qui n’est, à mon humble avis, pas si grave que ça, considérant que la majorité des lecteurs s’enlignaient pour un refus de toute façon. (publier un livre, c’est difficile)

    C’est certain que je parle du domaine du roman, où le processus est extrêmement long. J’imagine mal comment un auteur pourrait espérer publier en envoyant son tapuscrit à un seul endroit. Les maisons d’édition ne s’engagent pas à lui donner une attention exclusive, alors pourquoi ces maisons devraient-elles attendre cela d’un auteur?

    À moins que tu parles d’un auteur qui change d’avis après avoir reçu un « oui » et après avoir retravaillé le texte. Là, ça mérite un coup de machette sur le tibia.

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  • 1 mars 2009 à 10:38
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    Effectivement, j’ai un peu reglissé dans mon rôle de dirlitt de revue pour ça. Et pour répondre à ta question, à savoir s’il corrige un texte avant d’en parler à l’auteur, oui et non. Non, il ne fait pas le travail de direction littéraire au complet, mais il doit au moins suffisament comprendre le texte, donc le lire une fois ou deux de façon attentive, en relever les forces et les faiblesses pour juger de l’ampleur du retravail qui est à faire, idéalement faire ressortir quelques commentaires principaux pour étayer sa réponse, et puis ça, oui, ça prend du temps, et c’est chiant le faire pour rien.

    Ce que j’ai souvent entendu, pour la soumission de roman, c’est de commencer par l’envoyer à UNE maison d’édition, celle qui serait notre premier choix, puis, ensuite, après avoir reçu une réponse, de faire de la multi-soumission.

    Ouais, c’est peut-être effectivement viable de faire ça comme ça (mais PAS pour des revues. En tout cas pas Brins d’éternité, gna), à condition, évidemment, comme tu dis, d’avertir les autres maisons dès l’instant où on reçoit une réponse positive…

    Je ne force personne à penser comme moi, bien entendu, mais je continue de préférer la transparence et de me dire qu’il vaut mieux informer, dans la mesure où c’est pertinent, un éditeur/dirlitt qu’il n’est pas le seul à avoir ce texte entre les mains. Mais peut-être suis-je idéaliste ;)

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  • 1 mars 2009 à 11:46
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    Ha! ha! Je comprends.

    Au fond, l’auteur et l’éditeur, c’est comme un vieux couple. Les deux dorment dans le même lit, mais chacun veut tirer la couverture de son côté.

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  • 1 mars 2009 à 14:17
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    Je suis aussi pour la transparence, mais des deux côtés. Si un directeur littéraire s’intéresse à votre texte, je pense (dans mon cas en tout cas) c’est que l’éditeur a d’abord accepté de le passer à son directeur littéraire. Ils devraient nous en infromer. Si les deux sont intéressés au point d’investir du temps de lecture pourquoi alors ne pas signer un contrat ou d’avertir l’auteur que ça se fera sous peu. Parce qu’entre l’appel de l’éditeur et du dernier courriel de la directrice littéraire, ça fait deux ans, toujours dans mon cas. Et toujours pas de contrat en vue.

    Sans compter les huit mois d’attente avant même la première lueur d’espoir. Vous auriez vu ça si je n’envoyais mon manuscrit qu’à une seule maison d’édition. Peut-on me reprocher alors d’essayer ailleurs? Ça devrait être comme un offre d’achat sur une maison, il devrait y avoir un délai pour répondre.

    Quant à Antidote, je suis d’accord, j’en ai même fait un billet dans mon blogue. Quant à la présentation, si elle ne convient pas, ne craignez rien, la réponse de refus vient assez tôt, ce qui fait que je ne connais pas d’auteur qui n’apprend pas très vite à bien présenter son texte.

    Quant à être un couple avec un éditeur, j’ai l’impresson de n’en être même pas encore aux fréquentations. Tout juste aux regards plein de questions.

    Quant à ne pas les harceler, difficile à trouver la juste mesure. J e n’aime pas me faire harceler non plus, mais en début de relation, c’est normal il me semble de vérifier de temps à autre s’il y a toujours quelqu’un au bout de … son manuscrit.

    Une auteure frustrée qui voudrait bien que sa patience soit un ti-peu récompensée.

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  • 1 mars 2009 à 15:32
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    Pour ce qui est des contrats, l’éditeur ne signera un contrat que lorsqu’il est certain de vouloir publier un texte, ce qui peut se faire après certaines séances de commentaires de la part du dirlitt ou après retravail. après tout, l’éditeur ne sait pas si le texte sera un jour à son goût: il suppose que l’auteur rendra le texte où il le veut, mais ne peux en être certain. S’il signe le contrat trop tôt, il peut se retrouver pris avec un manuscrit, et faire trainer les choses, ou publier le roman mais ne pas le mettre sur les tablettes (comme le faisait certains éditeurs pour leurs subventions…)

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  • 1 mars 2009 à 16:31
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    Mathieu,
    même si je trouve que l’éditeur a le beau rôle, disons que je veux bien me montrer compréhensive, je refais mes devoirs, je corrige, je reprends la troisième et quatrième version, je prends deux à trois mois chaque fois. Pourquoi est-ce que je m’attends à ce que l’éditeur/directeur littéraire prenne à peu près le même temps et non le double ou le triple pour me dire ce qu’il en pense?

    Et toujours dans le même objectif de sortir le meilleur livre qui soit, qui me dit qu’un autre éditeur n’est pas prêt à prendre plus de risques ou a les reins plus solides et qu’il m’offre un contrat. Qu’est-ce que je suis censée faire en tant qu’auteure? Le refuser parce qu’il a d’abord été en lecture ailleurs?

    Je reviens à mon idée de maison, elle ne sera jamais parfaite mais un acheteur peut accepter de l’acheter plus rapidement qu’un autre, il fait une offre.

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  • 2 mars 2009 à 3:59
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    Cet échange est bien interessant! Quelque soit l’image, la maison à vendre ou le vieux couple qui partage un lit, on est bien ici dans une situation de partage de gâteau. L’auteur et l’éditeur doivent faire en sorte, d’abord, que le gateau soit le meilleur possible, et ça, bien évidemment, ça coince déjà, car ils n’ont pas forcemment la même vue : l’un est créateur, subjectif, il travaille avec son coeur, avec ses tripes, l’autre travaille avec sa raison, son expérience. Mais ensuite, une fois que le gateau est bien monté, il s’agit de le partager, et c’est encore une autre affaire! Chacun est dans son rôle!

    En tout cas, merci pour cette vision de l’autre côté!

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  • 2 mars 2009 à 10:49
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    C’est vrai que l’échange est intéressant. Si je peux reprendre un passage de Claudel : « je reprends la troisième et quatrième version, je prends deux à trois mois chaque fois. Pourquoi est-ce que je m’attends à ce que l’éditeur/directeur littéraire prenne à peu près le même temps et non le double ou le triple pour me dire ce qu’il en pense? »

    Ben, à mon avis, c’est que le dirlitt (ou l’éditeur, enfin, quelque de la maison d’édition) a probablement plusieurs autres manuscrits en cours de retravail, ce qui peut gonfler le temps d’attente pour tout le monde, surtout si, mettons 2 ou 3 auteurs retravaillent simultanément leur manuscrit pendant 2 ou 3 mois. Si le dirlitt met le même temps à commenter et à relire que les auteurs à réécrire, l’attente n’est pas de 2 ou 3 mois, mais de 6 à 9 mois… (Je simplifie, évidemment).

    Et ça, en fait, ça ferait bel bien du dirlitt un être profondément polygame, mais enfin, c’est une autre histoire ;)

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  • 3 mars 2009 à 9:57
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    Note: je suis pour les soumissions multiples, mais par étape. Première soumission: l’éditeur rêvé. Refus habituellement générique.
    Deuxième soumission: quelques éditeurs en même temps, qui s’avèrent intéressants.
    Troisième soumission: éditeurs plus marginaux.
    Quatrième soumission: nouveaux éditeurs…

    Au début, c’était ce que je faisais. Maintenant, je cible les éditeurs qui ont du potentiel, du dynamisme et qui sont ouverts à la discussion.
    Aussi, je considère que l’éditeur qui s’intéresse à mon travail gagne: j’avise les autres que mon manuscrit est placé. si jamais le travail n’aboutit pas, j’aurai un manuscrit retravaillé encore plus à resoumettre. Un éditeur ne peut demander d’exclusivité sans contrat, mais l’auteur peut lui accorder un certain privilège en espérant pouvoir établir une relation plus profonde avec l’éditeur.

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