Catégories : Réflexion

Crise du livre au Québec : à qui la faute?

Ces temps-ci, on discute beaucoup des salons du livre en région et de leurs raisons d’être. On dirait que ce discours revient annuellement, à des dates précises, soit après la tenue du Salon du livre de l’Estrie. Un hasard?

Plusieurs exposants, auteurs et animateurs sont décontenancés de voir à quel point les visiteurs à certains salons sont :

  1. peu nombreux;
  2. peu intéressés par la littérature (les kiosques où sont vendues des breloques obtiennent un succès fou, les autres sont déserts);
  3. peu attentifs, en ce qui concerne les étudiants aux animations.

C’est peut-être une minorité de visiteurs qui donne mauvaise impression à l’ensemble. Mais je pense que c’est plutôt l’inverse.

En plus des salons, on parle souvent des librairies indépendantes qui ferment, du trop grand nombre de livres qui se publie, de la menace de la littérature étrangère, etc., tous comme étant la cause principale de la crise du livre qui sévit au Québec. C’est une manière de voir les choses. Mais je pense qu’un facteur prédomine sur tous les autres, et le voici :

Au Québec, il manque de lecteurs.

Imaginez. Si un plus grand nombre de Québécois lisait régulièrement — et par « régulièrement », j’entends une quantité modeste de livres, soit près d’un par mois, ce qui n’est pas énorme —, je crois que tous nos problèmes disparaitraient. Les librairies feraient de l’argent, les salons du livre seraient pleins à craquer, l’offre égalerait la demande, les maisons d’édition seraient rentables et les auteurs allumeraient leurs cigares avec des 20 $.

Sauf que c’est une utopie. Pourquoi? Parce qu’au Québec, on est illettrés.

Et pas rien qu’à peu près.

Vous a-t-on déjà parlé du niveau de capacité de lecture? C’est une gradation en 5 niveaux que les analystes utilisent pour évaluer l’alphabétisme chez une personne.  Un bel article nous indique à quoi se rapporte chacun des échelons. Je paraphrase ce qu’on y explique, pour résumer :

  • Niveau 1 : difficulté à lire de l’information écrite;
  • Niveau 2 : peuvent utiliser des textes que pour des besoins limités;
  • Niveau 3 : peuvent lire des textes pourvu que la tâche ne soit pas trop complexe;
  • Niveau 4 ou 5 : capables de lire la plupart des écrits nécessaires dans la vie quotidienne.

Vous pensez que la plupart du monde peut lire un bouquin? Si oui, c’est une illusion. Comme vous êtes sur ce blogue, vous êtes probablement un féru de la littérature et, normalement, vous êtes entourés de personnes qui vous ressemblent. Mais plus loin, derrière les limites de votre cercle social, les personnes qui éprouvent des difficultés de lecture sont légion.

Dans son article intitulé Y a-t-il encore des analphabètes au Québec?, Mario Raymond explique ceci :

Selon Statistique Canada, plus de la moitié de la population adulte québécoise se situerait aux niveaux 1 et 2 des compétences en alphabétisme.

« Quoi? » me direz-vous. « Plus de la moitié? »

Eh oui!

La moitié des gens aux Québec ouvrirait un roman et ne comprendrait rien ou presque. C’est ça, la réalité. Et c’est à eux qu’on essaie de vendre des livres.

Observez autour de vous. Allez sur Facebook. Combien de vos amis massacrent le français dans leurs statuts, et ce, plusieurs fois par phrase? Savoir écrire va-t-il de pair avec savoir lire?

Vous voulez voir la couleur de ces chiffres? Cet été, l’Espace communication en santé publique a publié un article où il montre une carte du Québec assez particulière. Selon une échelle identique à celle montrée ci-dessus, ils évaluent le taux de littératie au Québec pour savoir si nous sommes capables de prendre soin de notre santé. Seulement ça.

Voici la carte [pdf].

Attention, vous allez saigner des yeux.

On revient donc à la base. Si la chaîne du livre vit tellement de problèmes aujourd’hui, c’est à cause du maillon le plus faible, c’est-à-dire nous-mêmes en tant que peuple mal éduqué.

Pour terminer cette réflexion, je vais citer ce cher Gaston Déziel, le créateur de Dictomanie, qui, durant un salon du livre, m’a rapporté une de ses rencontres avec un ado qui visitait son kiosque :

— Mon gars, viens voir ça! Dictomanie, c’est génial. Tu peux apprendre et t’amuser en même temps!
— Apprendre? Bah! C’est poche.
— Mais tu peux t’amuser quand même. Et je te promets qu’à la fin, tu vas rester aussi niaiseux qu’avant.

Crise du livre au Québec : à qui la faute?

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Voir les commentaires

  • Pas une grosse surprise pour ma part.

    J'ai déjà posé la question suivante par écrit à mes élèves de français secondaire 1 (après leur avoir fait lire un texte où on parlait du chien de Maxime sans nommer sa couleur) :

    "Quelle est la couleur du chien blanc de Maxime?"

    Résultats : 3 éclats de rire accompagnés de la bonne réponse, 8 "on ne peut pas le savoir" et autres variantes, 12 couleurs diverses dont 4 "blanc" (y compris 2 que je soupçonne fortement être dûs à la chance), un "blanche". 28 élèves. 8 bonnes réponses, en incluant les douteuses.

    Dans une classe de français secondaire 1. Enrichi. Au privé.

    Ah, dans les résultats, faut que j'ajoute : une convocation chez la directrice pour la prof suite à la plainte d'un parent à l'effet que la prof "posait des questions pièges et voulait humilier les élèves".

    Donc, non, pas surprise du tout.

  • Au cegep, on n'arrête pas de se demander comment faire ! Pas moyen de les faire lire !
    - Trois pages ? Mais c'est beaucoup trop long !!! On n'a pas le temps, madame !
    Aux examens, ne lisent que les mots-clés, s'imaginent la question (et la réponse)...
    Et je vois régulièrement les étudiants se taper des audiobook tellement la lecture est trop "difficile". C'est fou !
    ...
    [/mode déprime on]

  • Beau billet, bien documenté. pas de phrases gratuites et de généralités. Pas de solution, mais au moins beau portrait.
    C'est à nous les lecteurs de faire des enfants et de leur donner le goût de lire! Ou que les immigrés que l'on accepte soient un tant soit peu instruits et donne le goût à leurs enfants (plus nombreux?) de lire... en français bien sûr.

  • Je vais probablement réfléchir aux solutions dans d'autres billets. La lisibilité sur le Web demande que les articles soient d'une longueur limitée.

  • zut! j'avais trop faim, je voulais déjeuner, alors je n'ai pas relu.
    Il aurait fallu écrire "[...] et donnent".
    Quant à la longueur des billets, même si je suis toujours aussi rebelle aux règles que dans ma tendre adolescence... je n'ai pas le choix de me plier au moins à celles des autres et ici aux tiennes. J'attendrai donc.

  • Hummm! Je suis entièremetn d'accord avec tout ça. C'est qu'il y a tout de même du potentiel. Rappellons-nous ce qu'est qu'être adolescent. Dans mon temps, (ouch, ça me vieillit d'écrire ça) la réalité était que ceux qui fréquente une bibliothèque sont des nerds et être nerds c'est être moche. On fait des campagnes publicitaires énormes pour empêcher les jeunes de fumer en leur livrant l'image négative que cela donne d'eux, on les incinte à faire du sport pour avoir un corps sain. La bonne nouvelle c'est que ça fonctionne. Maintenant que ces objectifs sont atteints, je crois que nous serions rendu au stade de faire la promotion de la langue et que c'est "cool" de lire. Et à force de leur piocher ça dans le derrière de la tête, ça fonctionnerait. Reste juste à trouve qui! Qui voudrait se lancer dans cette aventure?
    Ça prend le lobbyiste qui voudrait se lancer dans ça!

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